Mes Ouvrages
Laurence Martin AuteureElle me pointe un petit carnet qui gît le long du caniveau et murmure – Dites-leur pour moi que je les aime
Je demande
– À qui ? elle convulse.
Je pleure
– À qui ? elle est partie.
La femme qui sortait du cimetière est venue mourir dans mes bras… Je souffle « Je le leur dirai » comme une promesse indestructible.
Rose ne sait pas que cette promesse va bouleverser son existence.
Au fil des pages de ce carnet, elle remettra en question sa solitude.
Elle ira chercher ses réponses, contestera les lois familiales qui érigent le silence sur sa mère disparue il y a vingt ans. Elle apprendra combien la vie peut être belle et l’amour un nouveau départ.
Mais, quand l’adversité s’entête, la peur reprend parfois ses droits et la mort ses prérogatives.
Rose trouvera-t-elle sa vérité ?
Osera-t-elle enfin le bonheur ?
Je m’appelle Rose, j’ai 22 ans, je ne connais pas le bonheur. En revanche, j’aime le regarder, le toucher du doigt, l’approcher, pour cela, j’ai mes habitudes.
Chaque soir, la même sortie d’école, la même petite fille, et j’attends. J’attends ce flot de bonheur rare, cette jubilation enfantine, ce trépignement intérieur que je n’ai jamais ressenti. Je plonge dans son regard inquiet, je la regarde scruter la foule, chercher sa mère dans l’assistance. J’attends l’instant où elle la voit, celui où elle lui fait un signe, où son visage, soudain, s’allume, et ses prunelles se font plus grandes. On peut tout voir dans un regard, même un cœur éclater de joie. Puis je l’observe supplier la permission de s’en aller et courir droit, sans s’arrêter, jusque dans les bras maternels.
Quand l’école ferme pour les vacances, c’est dans les gares que je le cherche ; le bonheur traîne au bout des quais. Souvent, c’est une femme qui l’arbore. Sur une femme, c’est plus repérable. Elle arrive sous le tableau noir, fouille
la liste des arrivées, mordille ses lèvres, cherche le quai, fait les cent pas et s’impatiente, regarde sa montre, arrange son col. Puis finalement, le train arrive, les gens descendent, la femme s’approche. Elle se hisse sur la pointe de ses pieds, s’agrandit, contorsionne son corps, affronte la foule qui la menace. Enfin, elle le voit, il est là, elle aussi, elle court droit vers lui, pour elle aussi, le même regard, le même son du cœur qui éclate. Elle court, et il ouvre les bras. Le temps suspend son triste vol chaque fois que les amants s’embrassent, peu importe qu’ils soient bousculés, houspillés de « pardon » pressés, fustigés de regards jaloux, ils sont heureux et seuls au monde.
Ça doit être ça, le bonheur, sentir les battements de son cœur accélérer dans sa poitrine, avoir l’impression qu’il éclate, qu’il inonde son corps de chaleur jusqu’au plus petit des recoins. Peut-être l’ai-je vécu un jour. Mais c’est si loin que je ne sais plus.
Pour quelles raisons partiriez-vous ?
Quelle autre vie ? Quelles nouvelles voies ?
Vous décideriez-vous dans l’heure ou prendriez-vous votre temps ?
Voici le récit de départs irréfléchis ou orchestrés, volontaires, subis ou rêvés… définitifs, libérateurs.
Au travers de ces dix nouvelles, l’auteure vous invite à suivre des personnages en quête d’un autre destin.
Nouvelle « MA CHANCE »
Je m’appelais Sagar, ce qui signifie « océan » dans ma langue natale… Mais je n’ai jamais su pourquoi. Mes parents, sans doute, aimaient-ils les grandes étendues d’eau salée. Avaient-ils été voir la mer, celle que l’on nomme « d’Arabie », qui s’étend d’Oman à Bombay ? Je ne garde aucun souvenir d’eux… Juste une impression très fugace de vivre entouré d’animaux. Je sais seulement qu’ils ont péri dans l’incendie de leur maison. Je suis né le six avril 1994 à Sangli dans l’état indien du Maharashtra, mais là encore, rien n’est certain. Ai-je deux ans de plus ou de moins ? Mystère qui restera entier. Qu’importe, ma vie est ainsi faite de questions souvent sans réponses et mon esprit a tout tenté pour gommer ce passé lointain. J’ai proscrit, oublié, lâché et ne me suis pas retourné… Ma langue, mon prénom, mon histoire, je ne voulais plus en parler. Pourtant, ce tout petit garçon sur le cliché en noir et blanc qui tente d’esquisser un sourire, c’est moi, c’est Sagar l’orphelin. Ce regard tendre, ces joues renflées, ces yeux qui dévorent mon visage et cette chemise à petits pois sans doute portée pour l’occasion, c’est la seule photo qu’il me reste du temps d’avant… Avant ma chance.